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Un peu d’histoire

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Un peu d’histoire

À deux pianos ou à quatre mains
L’éloge de la convivialité
Par Michel Le Naour

Appelé par essence à la solitude instrumentale, le piano se prête pourtant à de multiples combinaisons et répond à la nécessité d’être et de jouer ensemble. À cet égard, la formation à quatre mains et le duo de piano offrent un exemple unique de communion partagée.

Dès l’invention du clavecin et du pianoforte, le clavier par son caractère polyphonique fut considéré par les compositeurs des XVIIe et XVIIIesiècles comme un orchestre en miniature.

Les premières partitions à quatre mains imprimées en Angleterre en 1777 par Charles Burney sous le titre « Quatre sonates ou duos pour deux instrumentistes » sont révélatrices de la volonté de faire de la musique ensemble. J-S. Bach s’en fit l’écho en composant duos, concertos et arrangements pour deux claviers, voire davantage.

Le premier duo de pianistes à s’être produit fut sans doute celui de Mozart et de sa sœur Nannerl vers 1770, puis la vogue gagna toute l’Europe. Le divin Amadeus écrivit plusieurs Sonates pour deux pianos ou à quatre mains, et l’on mesure à leur écoute ce qui les distingue.

Au duo à deux pianos plus flamboyant et concertant répond celui à quatre mains intime et confidentiel dont l’avantage est de ne faire appel qu’à un seul instrument et de faciliter l’usage domestique. Au cours du XIXe siècle, avec Schubert, Beethoven, Mendelssohn, Schumann, Weber, Alkan, Brahms, Reger, Bizet, Saint-Saëns éclot une floraison de chefs-d’œuvre.

Le mouvement s’amplifie au siècle suivant : l’écriture des partitions répond à des exigences de plus en plus complexes tant au niveau de la dynamique sonore que de la combinaison d’agrégats plus riches et puissants. Le genre à deux pianos s’impose progressivement au détriment du piano à quatre mains. Stravinski rédige une version à deux pianos du Sacre du Printemps qu’il joue avec Debussy, auteur lui-même du fameux En blanc et noir et d’une transcription de Prélude à l’après-midi d’un faune. D’autres créateurs tels Rachmaninov, Ravel, Bartók, Poulenc, Hindemith, Messiaen, Dutilleux, Lutoslawski, Stockhausen, Boulez, Ligeti, Kurtág… porteront désormais ce répertoire à son acmé.

Un engagement de tous les instants

Des raisons pratiques et musicales expliquent un tel développement : les œuvres conçues pour deux pianos offrent un plus large spectre avec la liberté d’utiliser individuellement tout l’espace du clavier, alors que le piano à quatre mains limite la possibilité de s’écarter du registre grave ou aigu malgré l’entente au coude-à-coude et au cœur-à-cœur.

Au-delà de la technique (travail de la pédale, recherche de l’équilibre des parties, homogénéité d’ensemble…), la réussite du duo repose sur un ensemble de facteurs qui tient à l’évolution de la musique vivante et aux conditions de sa diffusion dans des salles de grandes dimensions propices à son écoute. Il n’y a qu’à observer un duo de piano en concert où gestes, regards, mouvements de tête ou de buste constituent un spectacle en soi quand les pianistes se font face sur deux pianos à queue. L’effet produit prend une dimension théâtrale et se rapproche de la sonorité d’un orchestre avec un côté fusionnel où la souplesse du geste le dispute à la transparence. En fait, la volonté de deux pianistes de s’unir nécessite un abandon de son ego et un don de soi ; mais en retour, que de satisfactions musicales et personnelles !

Des duos de piano légendaires

Des pianistes duettistes ont marqué la légende du piano au fur et à mesure de la multiplication des concerts. En 1912, les Sœurs Sutro sont dédicataires du Concerto pour deux pianos de Max Bruch et d’autres interprètes prennent le relai. Parmi eux, Vitya Vronsky & Victor Babin à partir des années 30, Josef et Rosina Lhévinne, le duo Gold & Fizdale (créé en 1944) qui élargit le répertoire par de nombreuses commandes. Après la Seconde Guerre Mondiale, outre le duo soviétique charismatique des Bruk & Taimanov, se distinguent le duo Nettle & Markham créateur des Planètes de Holst pour deux pianos, les Bartlett/ Robertson pour la musique anglaise, Jeremy Brown & Seta Tanyel qui enregistrent pour la première fois une intégrale Poulenc, et dans les années 60 les Frères Kontarsky prosélytes de la musique dodécaphonique ou sérielle.

Aujourd’hui, les Sœurs Labèque, Lafitte, Pekinel, les Frères Jussen, les duos Anderson & Roe, ou Ancelle & Berlinskïa donnent ses lettres de noblesse à cette forme empathique volontiers jubilatoire qui suscite l’engouement du public. Si la formation de duo de piano est un genre à part entière, elle peut aussi naître de la rencontre et de la complicité entre virtuoses : citons Robert & Gaby Casadesus, Badura-Skoda & Jorg Demus, Christian Ivaldi & Noël Lee, Martha Argerich & Nelson Freire ou Daniel Barenboïm, Murray Perahia & Radu Lupu… Dans la fertile galaxie du jazz figurent au premier plan des duos de rêve : l’utopique Dave Brubeck et son Points on Jazz cohabite avec les duos Oscar Peterson & Michel Legrand ou Chick Corea & Hiromi à l’imagination sans cesse renouvelée.

En réalité, l’idéal du piano à quatre mains réside davantage dans une association consentie, celle de deux personnes unies par le désir d’approfondir et de mûrir un répertoire. Ce fut le cas avec les Crommelynck (tragiquement disparus en 1994) ou plus près de nous avec le duo Tal & Groethuysen. À l’heure actuelle, les jeunes pianistes se montrent de plus en plus enclins à pénétrer les arcanes d’un univers aux richesses infinitésimales et que Rungis Piano-Piano Festival contribue pour sa part à promouvoir.

« La musique est ce qui rapproche. »
(Proverbe chinois)

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